Judo: Histoire

1868 fut une année terrible pour les arts martiaux (restauration de l'empereur Meiji) car le Japon s'ouvrait à toutes les influences étrangères et rejetait ses propres traditions. Les arts du budo perdirent tout prestige dans leur propre pays, supplantés par la vague de modernisme, et beaucoup d'écoles de ju-jutsu disparurent. Les derniers maîtres survécurent difficilement, totalement abandonnés.

Ce fut en ces temps difficiles que grandit Jigoro Kano (voir les 3 photos de la page). Son rôle ne se borna pas seulement à réaliser une synthèse cohérente des vieilles techniques oubliées de ju-jutsu ; il posa définitivement l'idée que les possibilités de l'art martial dépassaient largement le plan physique et que ce qu'il appelait alors « judo » (le suffixe « do », la voie remplaçant définitivement celui de « jutsu », la technique) pouvait être un fantastique moyen de développement moral pour l'individu d'abord, pour la société tout entière ensuite. C'est cet idéal élevé qui sauvera le vieil art martial de l'oubli.

Dès février 1882, il crée le judo du Kodokan (judo de "l'institut du Grand Principe") et ouvre son premier dojo dans le petit temple bouddhique d'Eisho-ji, avec 9 disciples (le premier élève fut Tomita Tsunejiro) évoluant sur 12 tatamis. Mais la solidité du vieux bâtiment est mise en danger par la violence des chutes sur les tatamis et il fallut très vite construire un nouveau dojo à l'extérieur. Le Kodokan déménagea plusieurs fois.

Ce fut entre 1886 et 1889, au dojo du Fujimi-Cho, à Tokyo, que la suprématie du judo du Kodokan allait définitivement s'établir après, notamment, le grand tournoi entre le judo et des combattants Yoshin-ruy-ju-jutsu (Ecole du coeur de saule, créée par Shirohei Akiyama, dont la base était le principe du Nage-Waza, le principe de la souplesse) qui vit l'écrasante défaite de ce dernier. Ce fut également dans cette même période que la véritable fusion des vieilles techniques s'établit sous l'impulsion de Kano qui modifia certaines techniques à la lumière de ses premières expériences et avec l'aide de ses premiers disciples (Kano avait présenté la première forme du nage-no-kata en 1884, mais le modifia plusieurs fois par la suite).

Le nouveau judo fut débarrassé de l'esprit féodal des anciennes écoles de ju-jutsu, les vieilles techniques furent examinées scientifiquement et un nouveau système d'entraînement fut organisé (mise au point des ukémi, techniques pour amortir les chutes sur les tatamis). De rigoureuses éliminations et sélections furent faites, en bannissant de la nouvelle méthode, qui ne voulait retenir que le point de vue éducatif, tout ce qui pouvait être dangereux à l'entraînement. Ainsi l'atémi-waza fut pratiquement éliminé au profit des projections et des immobilisations, qui pouvaient s'employer en assaut sportif.

A partir de 1905, après la victoire du Japon sur la Russie, l'intérêt pour les choses venant de l'étranger déclinait et le nationalisme reparut : le judo profita de ce renouveau des traditions nippones. Les Universités puis les écoles l'enseignèrent. Le Kodokan n'eut plus l'exclusivité d'un sport revenu à la mode (ses grands rivaux furent, avant 1940, le Butokukai de Kyoto et le Kosen, qui pratiquaient davantage le judo au sol et dont l'efficacité était certaine) mais Kano Jigoro poursuivait l'expansion d'un art martial dont il fut le premier à réaffirmer l'intérêt, au cours de plusieurs voyages à travers l'Europe et les Etats-Unis, jusqu'à sa mort en 1938. Ses neuf premiers élèves de 1882 devinrent 100 e 1886, 600 en 1889 et se comptent aujourd'hui par plusieurs millions rien qu'au Japon.

Source : Judo Pratique de T. Inogai & R. Habersetzer